Juju la Tigresse

  • Junes Davis-Cohen

Mardi dernier, Micka m’appelle pour me dire que nous avons un diner très important dans un restau avec des collègues, et me demande de m’habiller.

– Attention Junes, ce soir, c’est du sérieux.

– Pourquoi, d’habitude je m’habille pas sérieux ?

– On se comprend, tu mets pas toutes tes fanfreluches, tes trucs soi-disant « au top de la mode » alors qu’en fait c’est horrible, et surtout ne porte pas ta perruque blonde.

Ah oui, c’est vrai, encore cette histoire de blonde, qui a changé ma vie, ou plutôt qui a changé la vision des autres sur ma vie. Parce que récemment, j’ai accompagné une amie pour acheter une perruque dans le fin fond de New York (métro, train, taxi, chameaux et marche étaient au programme), et la boss du magasin de perruques est tellement bonne vendeuse, que non seulement elle a réussi a me vendre un truc dont je n’ai pas besoin, mais en plus, elle m’a fait croire que moi qui le châtain depuis 1981, ne me mettait pas du tout en valeur ! Le blond est « amazing » et qu’il fallait ABSOLUMENT que je reparte avec ! Comment j’ai pu me laisser embarquer là-dedans ? C’est sûrement dû au fait que la proprio de la boutique de cheveux ressemble à un top modèle évadé d’une page de Vogue, tellement elle est magnifique ! Elles sont fortes ces américaines. Quand tu achètes un de ses produits, à cette Gali’s wigs (qui n’a rien voir avec les ailes de poulets dits wings !), tu as cette drôle d’impression que tu rapportes un bout d’elle chez toi, alors qu’en fait…non. Alors me voilà en blonde platine à la Victoria Silvstedt*, mais version nain de jardin, et sans roue de la fortune, même si j’ai bien dépensé une fortune !

Bref, on arrive à la soirée (en perruque brune !), où je trouve déjà installés deux collègues (Fabrice et Jack). Tout le monde se tient sur le carreau, très sérieux, mais au bout de dix minutes, je demande à la ronde si on peut commander.

– On attend Marion, m’informe Fabrice.

– Shkoun Marion ? Euh… pardon c’est qui Marion ?

– Elle travaille avec nous, c’est une pro des chiffres, elle est super sympa, tu vas l’adorer, m’informe Jack.

Horrifiée, je demande discrétos à mon mari.

– Depuis quand y a des femmes qui bossent avec toi ?

– Bah, il y a plus de 1800 salariés, tu t’imagines bien que c’est mixte, non ?

– Mais enfin, tu ne m’a jamais dit que…

– Salut Marion, ça va ? Claquage de bisous pour chaque joue (sauf pour moi, mon parfum doit pas lui plaire !)

Oh God! Cette fille, c’est mon cauchemar vivant, depuis un moment la dragonne de jalousie qui sommeille en moi fait dodo dans le donjon de mon esprit, mais cette Marion toute en jambes l’a réveillée, et pas qu’un peu! La vingtaine et des petites poussières, grande, mince, la représentante suprême de la bobo chic parisienne, version rive gauche. Elle a plein de bracelets qui gigotent quand elle parle, elle a la voix grave, porte du Zadig et Voltaire (je suis sûre qu’elle n’a lu aucune des deux! ), Maje, Sandro, a des bottes Isabel Marant, mais elle a pas l’air marrante pour autant. Elle se pose à côté de la chaise de Fabrice, me jette un œil vite fait, et décide de m’ignorer.

Je me console en me disant qu'au moins on va pouvoir commander.

Et vas-y que ça parle à tous les hommes, et vas-y que ça connait tout sur tout le monde et ce n’est qu’au bout d’un moment qu’elle daigne m’adresser la parole d’un air très hautain avec son visage mutin (moi, aussi je veux un visage mutin !!!) et me demande :

– C’est toi la femme de Micka?

– Oui, c’est moi, et pour joindre l’info en image, je tiens la main de mon homme avec les doigts entremêlés (mais qu’est ce qui m’arrive ? Jamais je ne tiens les doigts entremêlés, ça me donne chaud, et ça me fait suer des mains.)

Elle se penche vers moi, et me dit :

– J’adore ton mari, on rigole trop ensemble. En réunion, il fait des blagues tordantes. Je l’apprécie beaucoup, mais c’est marrant, je ne t’imaginais pas comme ça.

C’est bon, le dragon qui est en moi est au top de sa forme. Je vais lui planter ma fourchette, mais j’hésite entre le cœur et la main. Mon D. quelle honte, calmons-nous ! Mais elle enchaine avec the question :

– Et sinon, tu fais quoi dans la vie ?

– Je m’occupe de mes enfants, mais il m’arrive de m’assoir et d’écrire, d’ailleurs à ce propos… mais elle ne m’écoute pas, et me balance le regard que je ne connais que trop bien :

Greluche-nunuche-mère-dans-un-foyer qui ne fait rien de sa vie !

– et sinon tu t’ennuies pas toute la journée quand tes enfants sont à l’école ? Bien fort au cas où mon mari n’aurait pas entendu !

Je n’ai même pas le temps de répondre, que Marion tourne la tête et rigole à gorge d’employée/déployée aux blagues de Micka. Elle n’arrête pas de me dire qu’elle adoooooore mon mari, et s’excuse au bout de cinq minutes car princesse Saleté doit aller à la salle de bain.

Et là je me mets en mode pétage de plombs interne : je veux la poursuivre, la ligoter au radiateur des toilettes, lui enlever ses fringues, et découvrir avec un bonheur sadique, qu’elle porte une gaine couleur chair, et qu’elle a un trou dans ses collants Tati (fausse bobo de mes deux, démasquée va). Je lui passerai la tête sous l’eau, et comme tout le monde, elle aura le cheveu fou et épais. Je lui crierai comme une possédée :

– On adore le mari de qui, maintenant ? Répète saloperie, sinon je ne te rends pas ta gaine.

Mais Marion revient, et me tire de mon fantasme tout droit sorti du monde de Juju la tigresse. Fabrice est en train de nous annoncer que sa femme attend un bébé pour juillet. Tout le monde le félicite, et l’autre collègue, qui bave devant Marion, lui demande si elle veut des enfants (il se renseigne avant de lui demander sa main que je trancherai bientôt), mais Marion déclare :

– Les enfants, c’est pas avant 35 ans, quand je serai vieille.

– Oh c’est rigolo, dans 3 mois je vais les avoir…

– C’est ce que je dis, quand je serai vieille. Mais Micka m’a dit que vous avez un enfant de 9 ans, non? Je croyais que t’avais plus.

C’est bon, je retourne dans mon monde pour continuer le massacre, qu’on la finisse une bonne fois pour toutes. Elle repart pour être au cœur de toutes les attentions.

Je me dis que je suis finie, que l’image de la femme mariée rangée avec des enfants, de presque 35 ans, n’intéresse plus les femmes célib, c’est comme ça, il faut que je l’accepte, et je replonge dans mes haricots verts (bah oui, parce qu’en plus, quand tu avances dans l’âge, t’as même plus le droit de prendre des féculents le soir, c’est pas juste !). Au bout de dix minutes où la conversation devenait morne, Jack me demande où ça en est mon livre. Mon mari tout gêné me donne un coup de pied sous la table, il n’aime pas que je parle (trop) de moi devant les collègues, mais Jack est sur sa lancée :

– C’est bien la vie déchaînée d’une mère…

Mais Fabrice l’interrompt :

– Non, c’est la vie déjantée d’une mère juive.

Et contre toute attente, je vois le visage de Marion s’éclairer :

– Attends, c’est toi Junes Davis ?

Re-coup de pied de mon mari (faut qu’on trouve un autre truc, parce que je commence à avoir mal au tibia moi, à force de me faire frapper)

– Allez, ma chérie, on va y aller, mais j’entends le collègue dire à Marion.

– Oui, c’est Junes Davis ! Tu n’avais pas fait le lien avec Micka ?

Et enfin, enfin, Mademoiselle Marion me court après pour me parler, et me dire qu’elle adorerait être comme moi quand elle sera plus grande, mais impossible de répondre, et d’avoir accès à une fourchette, parce que je suis entraînée par mon homme dans un taxi jaune.

Sur le chemin du retour, c’est là que la deuxième partie de soirée commence pour Micka et moi avec l’interrogatoire du mossad…

– Alors comme ça, on fait des blagues en réunion à des jeunes collègues ?

– Roooo, tu commences pas !

– Et toi, ça te plairait si je te disais que je fais des blagues avec mon éditeur ? J’aurais du mettre ma perruque Barbie, faut vraiment que j’arrête de t’écouter… et puis d’abord, pourquoi j’ai pas le droit de parler de mon livre ? Tu as honte de moi, c’est ça…

Etc.

Je vous souhaite une excellente semaine, et que vous soyez gonflé mais pas gonflante de confiance en vous 😉😉💋💋

* Anecdote à propos de Victoria S. et moi : lorsque j’habitais à Genève, je suis allée chercher mon fils qui avait une "play-date" chez un copain. En montant les escaliers, je croise la Victoria, et en ouvrant la porte et ma bouche, je dis à la mère que je viens de voir l’ovni blond, elle est trop belle, mais elle a l’air stupide, non ?

– Ah, tu trouves ?

– Oui, mais sûrement que je me trompe.

– C’est la copine de mon grand frère, en fait elle est hyper sympa et très intelligente.

-Ah désolée....Ethan on va y aller mon fils et euh......copine aurais-tu une pelle pour que je m’enterre steuplait? Non. Un sac alors pour que je m’étouffe?

xoxo J.D.

Juju la Tigresse
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